La fille taboue ou « La prise en charge des filles-mères par les Soeurs de Miséricorde à Trois-Rivières, 1943-1971 »
Diane Raymond

17806403

RÉSUMÉ

Le rôle des Sœurs de Miséricorde, pour la prise en charge des mères célibataires, se définit dès le milieu du XIXème siècle, à Montréal, sous l'influence de l'industrialisation et de l'urbanisation. Leur tradition, dictée par les autorités de l'Église, est soutenue par la classe dirigeante. Mais la mission des religieuses est cependant critiquée par la population imbue des règles de la morale chrétienne et bourgeoise. Le phénomène de la prise en charge des « filles-mères » est une conséquence de la violence sociale exercée contre les femmes enceintes d'une grossesse hors mariage.

Mais, en 1943, les nombreux bouleversements causés par la crise économique et l'effort de guerre causent l'éclatement de la famille traditionnelle et une augmentation constante des naissances illégitimes. Même dans les régions éloignées des grands centres urbains, l'ordre institué par les autorités ecclésiastiques et les familles de la petite bourgeoisie est confronté par les nouveaux rapports amoureux. L'Église cherche à combattre l'immoralité et interpelle les Soeurs de Miséricorde pour s'installer à TroisRivières. Les archives des Soeurs de Miséricorde révèlent que la protection des mères célibataires et de leurs enfants fut la véritable préoccupation des religieuses, jusqu'au moment où l'État providence intègre un système de sécurité sociale complet et intégré aux politiques de la société de masse. La tradition des Soeurs de Miséricorde suivra-t-elle la transformation des moeurs qui s'impose après la Deuxième Guerre mondiale ? Quel fut le rôle des Soeurs de Miséricorde auprès des mères non mariées, à Trois-Rivières? C'est ce que nous allons analyser pendant cette période.

Les Soeurs de Miséricorde arrivent à Trois-Rivières, pendant la crise des institutions de charité, provoquée par la mortalité infantile et la grande dépression économique et sociale des années 1930. Suivant les exigences de l'État, la fondation de l'Hôpital Ste-Marie, avec la construction d'une crèche et d'un hôpital modernes, assurait la survivance de la communauté religieuse, et répondait également aux besoins de la population où l'augmentation des naissances illégitimes renforçait la stigmatisation des mères non mariées. Les méthodes de réhabilitation se voient aussitôt transformées par l'introduction des sciences sociales dans la vocation des religieuses. Par ce fait, la discipline s'assouplit, mais la violence sociale demeure au centre du vécu des mères célibataires. Les Soeurs de Miséricorde iront jusqu'à proposer l'abolition de la tradition, très précieuse, du secret et de l'enfermement, pour combattre les préjugés et offrir à leurs protégées, une complète libération. Mais, parmi la population, les contingences de la société traditionnelle conditionnent les mentalités bourgeoises qui n'abandonneront que progressivement le principe de légitimité aux valeurs de la modernité. Ainsi, malgré la complexité du phénomène de l'adoption des enfants illégitimes et de la souffrance de l'exclusion qu'avait subie leurs mères biologiques, nous pouvons dire que les Soeurs de Miséricorde avaient participé à la libération des mères célibataires.

17 février 2004